mercredi 4 août 2010

Faut-il vraiment attendre?

Rentrant à peine de voyage, je tombais la semaine dernière sur une affiche dans le métro présentant la couverture du dernier numéro des Inrockuptibles. On y voyait Wim Butler et Régine Chassagne, le duo central du groupe Arcade Fire, les yeux hagards, perdus au milieu d'une rivière. Le titre était sans ambiguïté: "Arcade Fire, les sauveurs du rock".
J'avoue avoir toujours été partagée au sujet de ce groupe. Certes, ils incarnent mieux que n'importe quelle autre formation l'esprit et le métissage de Montréal et les rares lecteurs de ce blog :) savent à quel point j'y suis attachée. D'ailleurs, là-bas, entre Saint-Laurent, Prince-Arthur, Saint-Denis et Mont-Royal, vous croiserez toujours une personne qui connaît une personne qui connaît personnellement Wim ou Régine.

J'avais beaucoup aimé Funeral, moins Neon Bible. Je trouvais surtout le titre des Inrockuptibles tout à fait excessif comme à chaque fois que l'hebdomadaire se prend pour le NME et crie à la centième merveille du monde. Hier finalement, je me décidais à l'acheter.

Et je ne peux dire qu'une seule chose: Les Inrocks ont raison.
Je ne peux que parler de la chair et du sang qui semblent couler dans chacune des chansons de Suburbs, quand tant de groupes ne composent aujourd'hui, malgré ce que l'on voudrait bien nous faire croire, qu'un rock décharné et opportuniste.
Je ne peux que dire à quel point les paysages dépeints par Arcade Fire me font penser aux tristes zones commerciales décrites par J.G. Ballard, à l'ennui, à l'attente que l'on ressent à l'écart des grands centres.
Je ne peux que souscrire à l'admiration que suscitent Wim, Régine et les autres, et me dire qu'ils doivent sans doute s'en moquer un peu.
Je ne peux que répéter aux quelques lecteurs de ce blog d'écouter encore et encore Suburbs, mais dans son intégralité, tant il semble fait d'une seule pièce.

Ni de marbre, ni de bronze, mais un truc végétal, à base de feuilles de palmier et d'écorce de platane.

vendredi 28 mai 2010

Faut-il vraiment se perdre?

J'ai toujours aimé les cartes. Petite, avec Lisa, nous aimions passer des heures à regarder celles que notre grand-père rapportait du sud des Etats-Unis. Plus tard, nous en vînmes à en élaborer quelques-unes: A y repenser, je mets le monde entier au défi d'y comprendre quoi que ce soit!
Aujourd'hui, ce goût pour la cartographie ne m'a pas quittée. Et je trouve dans le digital storytelling et les nouvelles formes d'écriture un champ d'investigation tout à fait inédit pour le mind mapping.
Ces légères pensées me sont venues ce matin par une étrange connexion: A peine éveillée, dans les brumes d'un profond sommeil qui se dissipait à peine, je songeais au schéma des relations entre les personnages de Lost élaboré par Wired, à La Disparition de Perec et à Nicolas Boileau. Mais que peut-il bien y avoir en commun entre ces trois éléments, à l'exception de ma petite personne plongée dans un état de suspension exquis?

La contrainte. Cela, je le compris une fois sous la douche.

Commençons par le dernier, le "législateur du Parnasse" tel qu'on le qualifia à l'aune de la querelle des Anciens et des Modernes: Dans son poème L'Art Poétique, Nicolas Boileau tisse chaque fil du corset esthétique que la poésie doit arborer. Sans cette multitude de règles, impossible qu'affleurent la beauté du verbe et la justesse de la pensée. Pour Georges Perec également, la contrainte est au coeur du processus littéraire: Avec La Disparition, il parvient à écrire un roman sans jamais utiliser un mot contenant un "e". Mais alors, quel lien avec Lost?

Selon moi, il se fait par inversement. Et si, avant même d'élaborer les premières scènes du scénario, les producteurs de la série avaient imaginé et conçu le schéma des relations entre les personnages? Pour aller plus loin et faire en sorte que mes histoires de cartes percutent mes états matinaux où Perec, Boileau et les Disparus s'invitent dans ma chambre, il serait particulièrement excitant d'imaginer une fiction dont les principales directions seraient indiquées par une carte pré-existante. Créer par exemple de toute pièce un fiction transmédia relevant du genre "polar" d'après une carte des influx nerveux du corps humain, ou une série du genre "comédie" dont la construction utiliserait tel un calque la sphère logique et sémantique entourant la peinture et la personnalité d'un artiste comme Jackson Pollock. Si jamais certains veulent tenter l'aventure, faites-moi signe!




mercredi 26 mai 2010

La fin justifie-t-elle les moyens?

La diffusion lundi soir par ABC de l'épisode final de Lost a provoqué l'embrasement d'une bonne partie des blogs et forums qui, depuis six saisons, vivaient au rythme des aventures des survivants du vol 815. Il suffit de jeter un oeil sur le blog de Pierre Serisier (à mon avis, l'un des meilleurs dédiés aux séries) et sur la liste infinie des commentaires pour mesurer l'ampleur du phénomène Lost et, surtout, celle du vide que la fin de la série vient d'engendrer.

Pour beaucoup, la fin, c'est à dire l'ultime épisode, ne semble pas à la hauteur du mystère peaufiné par l'équipe de JJ Abrams. Il ne s'agira pas ici de passer en revue l'ensemble des énigmes qui ont trouvé -ou non- leur résolution, mais plutôt de cerner ce qui, avec Lost, s'est constitué: un art de la fiction globale, ou plutôt une école, pour d'autres seulement une tentative mais à coup sûr, une date dans l'Histoire des histoires.

Ce qui m'a très rapidement fascinée dans l'exégèse "lostienne", c'est avant tout l'apparition et la constitution d'un solide lexique dédié à ces nouvelles formes de narration. Avec la série, des termes comme flashback (bon, ça, ok...), flashforward ou flash sideways sont entrés dans le vocabulaire courant des scénaristes et créateurs de fiction. Cet aspect des choses est loin d'être anodin quand on sait que l'apparition d'un langage, et a fortiori d'un langage critique, est une des conditions nécessaires à l'éclosion d'un genre ou, du moins, d'un phénomène d'envergure.

Plus largement, j'avais envie de revenir sur ce qui fait le coeur de la plupart des commentaires éclos ces deux derniers jours. Sans dévoiler quoi que ce soit du dénouement (c'est de la haute voltige que d'y parvenir...), beaucoup de fans mettent l'accent sur les personnages, les intrigues, la part métaphysique du récit, les interactions temporelles, la constitution d'une internationale lostienne, l'ARG et ses multiples ramifications pour expliquer leur fascination. Beaucoup également semblent déçus de ne pas voir chaque ombre éclaircie, chaque mystère résolu, chaque mot analysé et intégré dans un discours construit, linéaire, qui ferait sens dans sa globalité.

De ces deux axes se distingue une idée maîtresse qui fait de Lost un programme à ce jour inédit: plus qu'une histoire mystérieuse, plus qu'une série tv, Lost est avant tout une mythologie dont la totalité dépasse de loin la somme des parties, et dont chaque partie en contient l'essence. S'il fallait fabriquer un cahier de tendance spécifique, une image du Christ côtoierait la carlingue d'un avion, un point rageur le poème Paradise Lost.

Je crois qu'ici réside une des clés de la fiction globale: parvenir à ériger de toute pièce un monde qui se suffit à lui-même, une mythologie impossible à circonscrire, une fascination plus qu'un exposé. Cette mythologie-là, à mon sens, la fiction française ne l'a pas encore trouvée.

vendredi 21 mai 2010

Le personnage est-il mort?

Dans son dernier numéro, la revue Wired consacre un dossier passionnant à l'ultime saison de Lost. Outre l'envie irrépressible de passer au scanner la double page d'ouverture à la recherche du moindre indice que les deux producteurs exécutifs Damon Lindelof and Carlton Cuse ont forcément glissé, il faut s'attarder, quelques pages plus loin, sur le graphique reprenant les interactions qui existent entre chacun des personnages. Le schéma ressemble à une étonnante rosace parcourue d'une centaine de filaments reliant Desmond à Kelvin, Kate à Randy, John à Daniel mais aussi Claire à Hurley, Richard ou Juliet.
Au risque de faire grincer des dents les plus accrocs, je crois que ce graphique résume assez bien une idée maîtresse développée par la série: les personnages semblent moins définis par leur intériorité (leurs histoires, désirs, regrets, rêves) que par les relations qu'ils entretiennent entre eux. Et si, au cours des épisodes, il est fait référence à une séquence particulière de leurs passés, c'est pour rendre plus lisible une action menée dans le présent (ou supposé comme tel) envers un autre personnage. Cette interaction permanente constitue à mes yeux le socle de toutes les circulations du scénario. Ces personnages me rappellent alors les marionnettes avec lesquelles nous jouions durant des heures, ma soeur Lisa et moi, bien avant qu'elle ne se tue sur une route aux Etats-Unis.

vendredi 14 mai 2010

Le jeu vidéo est-il l'art des plaisirs solitaires?

Ce week-end, dans Libération, j'ai lu un article passionnant qui, l'air de rien, m'a fait repenser à l'échange que j'ai eu la chance d'avoir la semaine dernière avec Eric Viennot, via nos blogs respectifs. Dans "Il était un jeu dans l'Ouest", les journalistes Bruno Icher et Olivier Séguret annoncent et décryptent la sortie prochaine du jeu Red Dead Redemption, un western hallucinant réalisé par les studios Rockstar à qui l'on doit la série GTA mais aussi Warriors, l'adaptation du film de Walter Hill, si je ne me trompe pas...
Je repensais alors aux mots d'Eric Viennot sur la possibilité que le modèle narratif du jeu vidéo devienne une des pierres angulaires du digital storytelling. La proposition est pour le moins séduisante. Elle constitue en elle-même un joli pied-de-nez: le jeu vidéo, cet "art mineur" catalogué par la plupart comme une marotte de marketeurs en quête de produits dérivés, est en passe de devenir l'instigateur de nouvelles formes de récit. Voilà qui a de l'allure!
Cette option n'est pas nouvelle, elle fut même explorée dès les premiers récits multimédia: qui a suivi le webdoc La cité des mortes a sans doute pressenti dans la navigation une amorce de fusion avec celle prônée par certains jeux vidéo. Plus récemment, le photographe Samuel Bollendorff franchissait une nouvelle étape avec Voyage au bout du charbon. En plaçant le spectateur dans la peau du journaliste réalisant lui-même l'enquête, il donnait vie à un fantasme absolu: se retrouver en deux endroits au même instant, ici devant l'écran et là-bas, au fin fond de ces tunnels où des hommes creusent la pierre. Mais il fallait rapidement se rendre à l'évidence: la tentative, quoique surprenante se révélait tout à fait artificielle et ne collait pas à la rigueur et à l'austérité d'une enquête journalistique portant sur un thème sociétal pour le moins tragique.

Même si les tentatives à ce jour semblent encore balbutiantes, il serait passionnant que la fiction mais aussi le documentaire et plus largement le journalisme s'inspirent du jeu vidéo pour la complexité de ses schémas narratifs. Mais il y a une chose que seul le jeu vidéo semble à même de créer. Un effet, j'ai envie de dire une irrésistible sensation, que l'on ne retrouve nulle part ailleurs. Pour l'approcher, je ne peux que reprendre le papier de libé et la jolie définition donnée par les deux critiques de "l'open world": "Des espaces urbains à perte de vue dans lesquels le héros dirigé par le joueur peut déambuler à sa guise, accomplissant ou non les dizaines de missions qui lui sont proposées".

Ce qu'offre le jeu vidéo et qu'il est le seul à proposer c'est ça: la possibilité de se perdre en solitaire, de sortir du contingent, de ne plus répondre à la commande, de dérouter la piste que le créateur a tracée pour nous, de ne plus être productif, de zoner des heures durant dans un no man's land numérique sans but ni quête.

J'ai alors repensé à Maxim. Il y a quelques années, nous avons vécu ensemble une jolie histoire d'amour à Montréal. Je me souviens des nuits entières qu'il passait à jouer à Resident Evil. A cette époque, les arts numériques étaient à mes yeux aussi passionnants que la visite d'un zoo. je le revois encore promener son personnage dans les moindres recoins d'une obscure maison, alors qu'il avait déjà tué tout ce qui s'apparentait de près ou de loin à un zombie. Je lui demandais "Mais tu fais quoi là?" et invariablement Maxim me répondait "Je traîne". Je me souviens alors de mes premiers pas dans Second Life, bien avant que ce réseau ne devienne un barnum putride. Je passais des heures à errer, admirant les paysages, comme au pied d'une montagne magique. Que faisais-je au final? Je traînais, seule, et c'était délicieux.

mercredi 12 mai 2010

L'interactivité, ce nerf de la guerre, est-il soluble dans tout?

Vous me direz, pour un premier post, j'aurais pu choisir plus simple et moins risqué! Mais rien de tel en guise de bain moussant inaugural que de s'attaquer à l'une des questions essentielles qui animent la planète media global ces derniers temps: l'interactivité ou, comment le transmedia place le spectateur/joueur au coeur du dispositif?

Comme le rappeler John Tarnoff dans son excellent article l'an passé, l'interactivité est très certainement l'enjeu principal qui départagera dans les mois et les années à venir les "bons" des "mauvais" projets transmedia (ou, pour parler un langage plus communément admis dans les sphères artistiques, les propositions "intéressantes" de celles "pas encore abouties"...)

Mais de quoi parle-t-on au juste? J'ai toujours été surprise de voir à quel point cette question centrale pâtissait encore d'une sorte de flou artistique une fois venu le temps d'élaborer des propositions concrètes sur lesquelles pouvait reposer une interactivité réelle. La problématique est d'autant plus difficile à cerner qu'elle sous-entend une "individuation" du process narratif et une appropriation de ses schémas par le spectateur/joueur. Or, ces deux données semblent profondément incompatibles avec la culture de masse, ou pour moins choquer, avec l'entertainment élaboré pour le plus grand nombre.

L'argument pourtant est très séduisant. Qui, en jouant à In Memoriam par exemple, n'a pas littéralement fondu en croyant, l'espace d'un instant, être au coeur même de cette terrible machination? Mais pour un projet avançant une tentative séduisante (même si elle restait encore balbutiante), combien de fictions transmedias croiront faire de l'interactivité en proposant l'air enjoué des bonus à choisir dans le désordre comme sur un vulgaire dvd?

L'idée de ce billet inaugural m'est finalement venue en lisant Eric Viennot aujourd'hui. Dans son post, le créateur d'In Memoriam fait un lien savant entre le digital storytelling et l'information, le journalisme, et le webdocumentaire... Fort heureusement, beaucoup d'entre nous (et de vous aussi, sans doute :)) ne l'ont pas attendu pour y songer, mais sa réflexion autour de prison valley (ce webdoc de Philippe Brault et David Dufresne produit par Upian dont tout le monde parle en ce moment) a le mérite de poser clairement les bases de la réflexion.

Eric Viennot nous dit avoir été "happé pendant plusieurs heures par ce reportage d'un nouveau genre" et salue avec force "la façon dont il motive le dialogue entre internautes, ou mieux encore, avec quelle magie il nous permet d'entrer directement en contact avec ses protagonistes".

J'aime bien quand Eric Viennot nous parle de "magie".......

Mais revenons à l'essentiel et brisons un peu cette chaîne de liesse et d'espoir qui entoure Prison Valley depuis sa mise en ligne. Car, quand Eric Viennot et ses amis nous parlent de "délinéarisation", je ne vois personnellement qu'un documentaire linéaire produit et pensé pour la télévision et entrecoupé de "bonus" aux allures de gadgets. A mes yeux, Prison Valley est un bon sujet de documentaire mais comme on le dirait d'un docu de 52 minutes qui passerait sur France 5 ou Arte en après-midi. Bon sujet, bien réalisé, servi par des images absolument magnifiques mais dont ni le propos -le monde carcéral américain n'étonne plus personne, rien a apprendre de ce côté-là, ni la facture version nouveaux médias - un vrai-faux découpage à la jeu vidéo- ne sauraient nous surprendre.

Et qu'en est-il de l'interactivité, ce nerf de la guerre? Les tentatives mises en place par Prison valley sont intéressantes: une communication "latérale" entre les spectateurs du webdocu (la vraie innovation!) et des forums et des tchats avec les personnages ou des experts (là, rien de nouveau). Pour le grand choc et l'interactivité version transmédia, il faudra patienter encore un peu...