vendredi 14 mai 2010

Le jeu vidéo est-il l'art des plaisirs solitaires?

Ce week-end, dans Libération, j'ai lu un article passionnant qui, l'air de rien, m'a fait repenser à l'échange que j'ai eu la chance d'avoir la semaine dernière avec Eric Viennot, via nos blogs respectifs. Dans "Il était un jeu dans l'Ouest", les journalistes Bruno Icher et Olivier Séguret annoncent et décryptent la sortie prochaine du jeu Red Dead Redemption, un western hallucinant réalisé par les studios Rockstar à qui l'on doit la série GTA mais aussi Warriors, l'adaptation du film de Walter Hill, si je ne me trompe pas...
Je repensais alors aux mots d'Eric Viennot sur la possibilité que le modèle narratif du jeu vidéo devienne une des pierres angulaires du digital storytelling. La proposition est pour le moins séduisante. Elle constitue en elle-même un joli pied-de-nez: le jeu vidéo, cet "art mineur" catalogué par la plupart comme une marotte de marketeurs en quête de produits dérivés, est en passe de devenir l'instigateur de nouvelles formes de récit. Voilà qui a de l'allure!
Cette option n'est pas nouvelle, elle fut même explorée dès les premiers récits multimédia: qui a suivi le webdoc La cité des mortes a sans doute pressenti dans la navigation une amorce de fusion avec celle prônée par certains jeux vidéo. Plus récemment, le photographe Samuel Bollendorff franchissait une nouvelle étape avec Voyage au bout du charbon. En plaçant le spectateur dans la peau du journaliste réalisant lui-même l'enquête, il donnait vie à un fantasme absolu: se retrouver en deux endroits au même instant, ici devant l'écran et là-bas, au fin fond de ces tunnels où des hommes creusent la pierre. Mais il fallait rapidement se rendre à l'évidence: la tentative, quoique surprenante se révélait tout à fait artificielle et ne collait pas à la rigueur et à l'austérité d'une enquête journalistique portant sur un thème sociétal pour le moins tragique.

Même si les tentatives à ce jour semblent encore balbutiantes, il serait passionnant que la fiction mais aussi le documentaire et plus largement le journalisme s'inspirent du jeu vidéo pour la complexité de ses schémas narratifs. Mais il y a une chose que seul le jeu vidéo semble à même de créer. Un effet, j'ai envie de dire une irrésistible sensation, que l'on ne retrouve nulle part ailleurs. Pour l'approcher, je ne peux que reprendre le papier de libé et la jolie définition donnée par les deux critiques de "l'open world": "Des espaces urbains à perte de vue dans lesquels le héros dirigé par le joueur peut déambuler à sa guise, accomplissant ou non les dizaines de missions qui lui sont proposées".

Ce qu'offre le jeu vidéo et qu'il est le seul à proposer c'est ça: la possibilité de se perdre en solitaire, de sortir du contingent, de ne plus répondre à la commande, de dérouter la piste que le créateur a tracée pour nous, de ne plus être productif, de zoner des heures durant dans un no man's land numérique sans but ni quête.

J'ai alors repensé à Maxim. Il y a quelques années, nous avons vécu ensemble une jolie histoire d'amour à Montréal. Je me souviens des nuits entières qu'il passait à jouer à Resident Evil. A cette époque, les arts numériques étaient à mes yeux aussi passionnants que la visite d'un zoo. je le revois encore promener son personnage dans les moindres recoins d'une obscure maison, alors qu'il avait déjà tué tout ce qui s'apparentait de près ou de loin à un zombie. Je lui demandais "Mais tu fais quoi là?" et invariablement Maxim me répondait "Je traîne". Je me souviens alors de mes premiers pas dans Second Life, bien avant que ce réseau ne devienne un barnum putride. Je passais des heures à errer, admirant les paysages, comme au pied d'une montagne magique. Que faisais-je au final? Je traînais, seule, et c'était délicieux.

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